Commercialisation De l’arachide les Huiliers Brassent du Vent

A défaut de s’ajuster sur les prix du marché, les huiliers finiront par triturer du vent, à la place des graines. Pendant ce temps, producteurs et Chinois affichent le sourire.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Cet adage est sans doute expliqué à merveille par la campagne de commercialisation arachidière 2019-2020. D’un côté, les paysans qui ont le sourire, avec un prix au kilogramme assez intéressant. De l’autre, des opérateurs privés et des huiliers qui brassent du vent.
En fait, contrairement à 2018, où les agriculteurs avaient du mal à voir des acheteurs et que leur récolte a été bradé au marché noir, 2019 a été l’année des bonnes affaires. Dès le mois de novembre, les Chinois, confrontés à une guerre commerciale contre les Etats-Unis, ont investi le marché sénégalais de l’arachide. Des camions sont mobilisés jusque dans les villages, pour l’achat de graines. En plus de la proximité qui permet aux paysans de faire l’économie du transport, les Chinois, à travers leurs partenaires sénégalais sur le terrain, proposent un prix d’or : 250 F Cfa le kilo minimum, sachant que ça peut aller jusqu’à 300 F.
Pendant ce temps, l’Etat et les acteurs officiels sont dans l’expectative. Il a fallu attendre fin novembre pour que le gouvernement, par le biais du Comité national interprofessionnel de l’arachide (Cenia), fixe le prix plancher à 210 F ; le même montant depuis plus de 3 ans. Quant à la date officielle de démarrage de la campagne de commercialisation arachidière, elle a été fixée au 3 décembre.
Huiliers et opérateurs privés nationaux ont donc accusé un mois de retard par rapport aux Chinois.
Un retard payé cher, puisque 3 semaines après le démarrage officiel de la campagne, les huileries sont privées de graines. «A la date du 18 décembre 2019, nous étions à 1 732 tonnes d’arachide collectées, contre 5 804, à la même date de l’année 2018, et à 16 472 t pour la même date de l’année 2017. A l’heure actuelle, nous sommes à 1,15 % de nos objectifs», se plaignait le directeur général de la Sonacos Sa, Modou Diagne Fada, dans une sortie médiatique, le 24 décembre.
La subvention de 18 milliards par an supprimée
Fada, convaincu que les Chinois bénéficient d’une double subvention (Sénégal et Chine), accuse ses concurrents de se livrer à la spéculation. Un jeu qui, dit-il, est interdit à un acteur comme la Sonacos, obligée de rester dans le circuit officiel. «Une participation de la Sonacos à la spéculation va créer de la surenchère. Si la Sonacos ou l’Etat décidait de revoir à la hausse les prix à 225 ou 250 F Cfa, les Chinois iront à 300, 350 F Cfa». Et Fada de se demander si, dans ce cas, la société publique aura les moyens de tenir le rythme.


Comme la Sonacos, les autres acteurs aussi sont inquiets. Lors d’une assemblée générale tenu à Thiès, le week-end du 30 novembre au 1er décembre, la Fédération nationale des organismes privés stockeurs et transporteurs du Sénégal (Fnopst) se plaignait déjà de la longueur d’avance prise par les Chinois. «Des opérateurs étrangers ont démarré leur campagne depuis longtemps, au détriment des opérateurs nationaux. Ils ont été autorisés à entamer leur collecte, là où le démarrage, pour les privés nationaux, a été fixé à mardi prochain (3 décembre 2019)», se lamentait Cheikh Tall, porte-parole de la Fnopst.
Pour Habib Thiam, opérateur travaillant avec les Chinois, c’est un faux débat. La question n’est pas dans le démarrage. «On parle de libéralisation, depuis 2010. On ne peut pas cloisonner la commercialisation à un temps T ou bien T +1 ou T -1. C’est la libre circulation des graines», réplique-t-il. La seule condition à satisfaire, ajoute-t-il, c’est de ne pas acheter en deçà du prix plancher.
Par conséquent, conclut-il, démarrer en octobre, en novembre ou décembre, c’est du pareil au même.
Habib Thiam fait remarquer que le marché obéit à la loi de l’offre et de la demande, et que le prix à l’international justifie ceux appliqués au Sénégal cette année. «Personne ne travaille pour perdre. Si nous achetons à ce prix, c’est parce que le marché mondial nous offre un prix intéressant. Alors, pourquoi on n’en fait pas bénéficier les producteurs ?», se demande-t-il.
Thiam rappelle d’ailleurs qu’en 2012, lorsqu’il y a eu mévente de la production, les huiliers ont obligé l’Etat a supporter une partie de la commercialisation, en appuyant le prix au producteur. Ce qui est à l’origine du protocole Etat-huiliers. Ainsi, 18 milliards ont été payés chaque année aux huiliers par l’Etat, souligne le président Macky Sall. Cette année, la subvention a été suspendue par l’Etat, sur la base des prix à l’international.
Macky Sall, avocat des Chinois
Thiam demande ainsi aux opérateurs et aux huiliers de s’ajuster au lieu de se plaindre. Surtout que le verdict de l’Etat a été sans appel. Lors d’un face-à-face avec la presse nationale le 31 décembre, le président Macky Sall, interpellé sur le sujet, a été catégorique. Pas question de mécontenter les étrangers. «Si on n’avait pas les Chinois, l’année dernière, ce serait la catastrophe. J’avais appelé moi-même le gouvernement de la Chine pour qu’il vienne acheter la production», se souvient-il.
Macky Sall de rappeler que les Chinois ont exporté près de 350 000 t l’an passé. Toutefois, le chef de l’Etat a précisé que le ministère de l’Agriculture travaille quotidiennement sur le sujet. Et que si jamais il est nécessaire d’intervenir, le gouvernement le fera. «A un certains niveau, on va dire stop, ou bien revient au prix fixé pour tout le monde», promet-il.
En attendant, la Sonacos a compris qu’il fallait des mesures correctives. Lors de la séance du Conseil d’administration du 17 décembre, il a été demandé au directeur général de s’adapter à la réalité du marché. «Après discussion, nous avions vu qu’il y avait possibilité de s’aligner sur les prix du marché, sans que Sonacos ne perde de l’argent, à partir d’une stratégie bien définie», indique le Pca Youssou Diallo, joint par téléphone.
Ainsi, depuis le début de l’année, la Sonacos achète au prix du marché, avec des primes en fonction du tonnage. S’appuyant sur les chiffres du ministère de l’Agriculture, selon qui seules 200 000 t ont été collectées en fin décembre sur une production estimée à plus d’un million de tonnes, Youssou Diallo promet même une «remondata».
Diallo pense que la Sonacos a les arguments nécessaires pour refaire son retard. «En plus du réajustement des prix, nous avons un réseau très fiable. Les grands opérateurs sont des fournisseurs de la Sonacos de longue date», relève-t-il.
« Si la Sonacos achète à 300 F, les autres vont passer à 310 F »
Un enthousiasme du Pca qui est loin d’être partagé par les opérateurs. Producteur et opérateur privé, El Hadj Tambédou affirme que malgré l’ajustement, la Sonacos n’aura pas les quantités dont elle a besoin. «Elle a attendu que l’essentiel de la production soit écoulée pour augmenter le prix», regrette l’ancien président de la Fédération des opérateurs privés stockeurs.
Habib Thiam, également, pense la même chose. Pour lui, la Sonacos s’est réveillée tardivement. «Le marché est tellement compétitif que si la Sonacos achète à 300 F, les autres vont passer à 310 F», prévient ce partenaire des Chinois.
Pourtant, la Sonacos s’était préparée très tôt. En début novembre, un accord a été signé entre le gouvernement du Sénégal et une filière de la Banque islamique pour un montant de 30 milliards destiné à la campagne agricole. Fada se félicitait ainsi du fait que, pour la première fois, la société dispose de fonds nécessaires avant le démarrage de la campagne.
Mais il va vite déchanter. La Sonacos et les autres opérateurs ont multiplié les alertes. Tantôt sur la nécessité de préserver l’industrie locale et les emplois, tantôt sur le risque de voir le capital semencier sortir des frontières, alors qu’il a fallu plusieurs années pour le constituer. Fada était désespéré au point d’invoquer la qualité des instruments de pesée de la Sonacos. Il a voulu même miser sur la fibre nationaliste. «Il y a des patriotes qui ne vendent pas aux Chinois, mais à la Sonacos», disait-il.
Aujourd’hui, malgré le retard important et l’ajustement des prix, Youssou Diallo affirme que l’objectif de passer de 80 000 t en 2018 à 150 000 t cette année est maintenue. «En plus des 30 milliards, Sonacos avait, sur fonds propres, 4 à 5 milliards. Et il est toujours possible de lever de l’argent chez les banques locales. En plus, avec nos partenaires, nous pouvons mettre en place des mécanismes, de telle sorte que les gens payent une bonne partie des quantités avant la livraison. Ce qui nous fait du cash-flow», argumente-t-il. Quant aux autres huiliers comme Copoel et Wao, il semble avoir opté pour la stratégie du silence.
«L’ancien système ne correspond plus à la réalité »
Au final, le seul point qui fait l’objet de consensus, c’est la nécessité d’organiser l’activité. «On ne peut pas imposer des points de collecte aux huileries et laisser les Chinois s’installer partout où ils veulent. Il faut réglementer la commercialisation», peste El Hadj Tambédou.
Du côté des partenaires des Chinois aussi, même si on demande aux autres de savoir raison garder, on n’en pense pas moins qu’il est nécessaire de faite régner l’ordre. «Il faut un cadre beaucoup plus sain, pour éviter la concurrence déloyale», acquiesce Habib Thiam.
A la Sonacos également, on demande la révision de tout le processus de commercialisation, notamment la fixation des prix. «L’ancien système ne correspond plus à la réalité du marché. Le mieux est de fixer les prix en fonction des réalités. Il faut réorganiser la filière», conclut Youssou Diallo, Pca de la Sonacos. L’Etat a sans doute pris bonne note.

Par Awa FAYE

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