Criminalisation du viol et de la pédophilie : Les risques d’une évolution

Awa FAYE

Le viol et la pédophilie sont devenus, depuis le 30 décembre 2019, des crimes au Sénégal. Une nouvelle loi qui n’est pas sans conséquences. Car, même si cette législation a été saluée par beaucoup d’organisations féminines suite aux nombreux cas de viols suivis de meurtres commis sur des jeunes femmes, des juristes ont émis des réserves sur sa bonne application. D’autres rassurent.

Criminalisation du viol. Une vielle doléance des organisations féminines satisfaite par le Président de la République Macky Sall. Parmi elles, l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) qui avait a exprimé toute son indignation suite aux violences sexuelles suivies de meurtre dont sont victimes des jeunes filles et femmes. Pour la chargée de la communication de cette structure Amy Sakho, «la tolérance zéro doit être de mise pour protéger les femmes et les filles d’une destruction physique et mentale qui leur coûte de plus en plus la vie à la fleur de l’âge ».

Ainsi, le 27 novembre 2019, le projet de loi n° 20/2019, modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 portant criminalisation du viol et de la pédophilie est adopté en Conseil des ministres. Le 30 décembre 2019, le Sénégal passe à la vitesse supérieure. A cette date, les députés ont, à l’unanimité, voté les textes relatifs au durcissement des peines de prison suite à un viol ou un acte de pédophilie. Pour cause, dans l’intervalle 2017-2018, 34 femmes ont tuées. Pis, entre janvier et novembre 2019, 14 femmes assassinées dont 3 mineures âgées de 10 à 16 ans. « Rien que pour le mois de mai 2019, en une semaine, 3 cas de viols dont deux suivis de meurtre ont été notés », a renseigné la benjamine de l’Assemblée nationale Marième Soda Ndiaye.

Les nouvelles dispositions de la loi

Pour certains juristes, cette nouvelle loi pourrait réduire voire éliminer les ignominies dont les femmes sont victimes. Ses innovations sont nombreuses. La législation précédente punissait le viol d’une peine allant de 5 à 10 ans de prison et le viol et était considérée comme un délit. Et, lorsqu’il y avait des circonstances aggravantes, la sanction changeait un tout petit peu. Mais, avec la nouvelle loi, toutes les infractions liées au viol deviennent des crimes. Le chef de prévention qu’on appelait viol simple, qui n’était accompagné d’aucune circonstance aggravante, est maintenant puni d’une peine de réclusion criminelle de 10 à 20 ans. La peine minimale. Les autres cas de viol également sont sanctionnés à des peines de 10 à 20 ans parce qu’avec cette nouvelle loi qui vient d’être votée, on a ce qu’on appelle la réclusion criminelle et la détention criminelle.

Lorsque l’infraction est commise sur un mineur de 13 ans, c’est toujours la réclusion criminelle de 10 à 20 ans. La chambre criminelle qui est désormais la juridiction compétente, ne peut pas prononcer une peine inférieure à 10 ans dès lors que l’agression sexuelle est commise sur une personne vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé.

Si les faits sont suivis de mort ou d’actes de barbarie, c’est la perpétuité. Sur ce, la chambre criminelle, même s’il estime qu’elle doit appliquer des circonstances atténuantes, ne peut pas descendre en deca de 20 ans. En outre, il y a eu également des changements sur le plan de la procédure. Dans la précédente loi, le procureur déférait toute personne poursuivie pour viol simple devant un tribunal des flagrants délits pour y être jugée. Maintenant, l’instruction est obligatoire. Quelqu’un qui est déféré devant le procureur pour des faits de viol, doit impérativement, si le procureur estime de le poursuivre, être présenté à un magistrat instructeur qui doit procéder à une information judiciaire.

Les femmes parlementaires applaudissent, mais…

Présidente du collectif des femmes parlementaires, Awa Guèye espère que cette loi ne sera pas une de plus. Pour cela, elle plaide son application effective et dans toute sa rigueur. La député de signaler que le texte sur la criminalisation du viol et de la pédophilie devrait permettre au Sénégal de garantir aux femmes et aux enfants une plus grande protection.

Toutefois, pour certains citoyens, l’adoption de cette loi est dangereuse d’autant plus qu’elle servirait d’armes aux femmes qui peuvent l’utiliser à tout moment pour nuire à la réputation d’une personne. Pour eux, certes la récrimination du viol est bien mais, on ne devrait pas mettre la charrue avant les bœufs.

Avocat au barreau de Dakar, Me Ciré Clédor Ly fait partie de ceux qui émettent des doutes sur cette nouvelle loi. Selon lui, on ne doit pas se servir de pression populaire pour faire voter une loi. « En matière de viol, des innocents sont souvent condamnés, parce qu’on n’arrive toujours pas à avoir la mesure d’expertise. Quand on n’a pas les moyens de sa politique pénale, on doit faire attention lorsqu’on légifère », a expliqué l’avocat.

Les plaidoiries des avocats

Mieux, il pense que le Sénégal devrait d’abord s’entourer des moyens techniques et scientifiques qui pourraient minimiser les erreurs judiciaires. « Moi, je ne suis pas satisfait de la manière dont la justice est rendue au Sénégal. Le procureur a l’opportunité des poursuites et le choix de la procédure. Avec la définition de la pédophilie, en tant qu’infraction, on se trouve dans des situations où les contours du délit peuvent ouvrir la porte à tous les travers », dit Me Ly. « Parce qu’une simple caresse pourrait être ambiguë, car pouvant être considérée comme purement affective ou perverse. Criminaliser la pédophilie, constitue un excès. Même si les pédophiles, si une fois les faits sont avérés, ne peuvent pas être excusés », plaide-t-il.

Son confrère Me Moussa Sarr félicite l’État du Sénégal pour cette mesure de criminalisation du viol et de la pédophilie. Il constate, pour le déplorer, que les délits de viol et de pédophilie ont pris des proportions inquiétantes au Sénégal. Et il fallait prendre une décision ferme pour affirmer la volonté de l’État de lutter contre ces actes ignobles et indignes. « Les femmes et les enfants constituent l’avenir de notre pays et ils méritent d’être protégés davantage », soutient-il non sans inviter, au vu de la sévérité des sanctions encourues par les présumés délinquants tous les acteurs judiciaires intervenants dans la chaîne pénale à faire davantage preuve de discernement pour éviter d’éventuelles erreurs judiciaires. Lesquelles pourraient, à son avis, causer des préjudices incommensurables aux citoyens en conflit avec la loi.

Les prérogatives du juge face à la criminalisation du viol

Le magistrat Alassane Ndiaye rassure. Il liste les garanties auxquelles le juge doit s’entourer pour éviter de condamner un innocent accusé de viol. « Il y a trois niveaux de vérification. Après l’enquête, le procureur reçoit un procès-verbal. S’il y a des éléments de preuves, des scellés ou autres on les lui envoie. Le parquet vérifie tous les éléments. S’il y a des indices et des présomptions, il ouvre une information judiciaire. Mais il peut aussi classer sans suite même s’il s’agit de faits présumés de viol. Rien ne l’oblige à poursuivre s’il n’y a aucun élément qui puisse le permettre de déclencher les poursuites », a-t-il avancé. Avant d’ajouter : « Après cette première étape de vérification, le juge d’instruction aussi doit procéder à des vérifications supplémentaires. Il ne doit pas se limiter uniquement sur ce que les enquêteurs lui ont donné. Si le procureur estime même devoir requérir les services d’un expert, le juge doit le faire. Il doit essayer de rassembler tous les éléments de preuve nécessaire pour avoir suffisamment de charge afin de traduire la personne devant la juridiction compétente ». Donc, argue-t-il, s’il n’y a pas de charge, le juge d’instruction doit prendre ce qu’on appelle une ordonnance de non-lieu. « S’il y a des charges, la personne incriminée doit être traduite devant la chambre criminelle », a informé Alassane Ndiaye.

De la responsabilité des acteurs de la justice

Chroniqueuse judiciaire, Marie Louise Ndiaye renseigne que cette décision de criminalisation mérite une ovation. « Seulement, les juges devront être très prudents car une erreur judiciaire peut arriver. Car, de la même manière que l’on voit des violeurs mentir à la barre, on assiste à des procès où des parties civiles, avec un tissu de mensonges, accusent un pauvre homme juste pour le nuire ou se venger », a-t-elle fait remarquer. Sur ce, la journaliste d’indiquer que cette solution de criminalisation peut aussi avoir son revers de médaille. Et c’est, prévient-elle, de la responsabilité de chacune des parties au procès à savoir le juge, le procureur et avocats de bien étudier les dossiers afin de leur donner la sanction idoine. Ou de relaxer quand il le faut. En attendant, les organisations féminines ont remporté le combat.

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