Mamadu, prêcheur et imposteur, charlatan aussi.

Mr Ahmedū Thiam
Expert financier

Il est de bonne famille, comme l’aurait conté un griot. Le nom de famille de Mamadu a accompagné quelques hits dans le passé et que les bongos-men déclament aujourd’hui, avec un génie qui fait frémir les âmes sensibles et perturbe la quiétude des puritains qui sont mitigés entre mépris et admiration.

J’avais connu Mamadu jeune, on jouait ensemble au foot, il n’y avait aucun éclat dans son jeu. Mais son respect et sa timidité lui faisaient gratter parfois les bouts de matchs, moments de fatigue générale et de stress. Il fallait un soldat pour mettre hors d’état de nuire, les héros de l’équipe adverse. Il le fit à chaque fois avec sérieux et sans ménagement, sur ce point il est le frère d’âme d’un certain C. Ndoye à qui on peut dire sans exagération la langue française doit les mots : inélégant et combattant.

Par la suite, on s’est perdu de vue, nos choix scolaires nous séparèrent arbitrairement. Je partis en France poursuivre mes études et lui, dans un ailleurs que personne ne sait. Mamadu se prépare à ce qui lui est destiné de naissance, la mission de chef religieux à temps plein.
Si ces talents footballistiques n’étaient pas trop suffisants, trois ans de formation ont suffi à Mamadu pour qu’il devienne le maître du jeu.

L’enfant prodigue est de retour au bercail, il reprend le flambeau de ses aïeux. Ses sorties, son verbe, son allure refaite, et son calme font sa renommée. Quoi que l’avenir lui réserve demain, son nom se fera entendre.

Les belles âmes en quête de Messie, nostalgiques d’un passé qu’elles n’ont pas connu, se chargent de faire sa propagande.

Leur machine marcha, Joseph Goebbels serait étonné de leurs méthodes. Elles étaient pourtant simples. Avec leur audace juvénile qui fait commettre de grandes sottises ou obtenir de grands succès. Leur modus operandi était : couper et partager des vidéos de Mamadu dans tous les réseaux.

Ces jeunes âmes aux avenirs presque compromis avaient compris ou pas d’ailleurs que dans tout exercice de propagande, ce n’est pas la vérité qui compte encore moins la science, mais la force du message. Mamadu avait le génie des formules laconiques, paresseuses mais percutantes et suffisantes pour émouvoir et plonger un public dans une « apnée cartésienne ».

Par la force des choses, j’avais reçu pour la première fois une de ses vidéos dont il traitait un sujet bien connu de nos cieux, « L’amour du Cheikh envers le prophète ». Je pris le temps d’écouter les 90 minutes que durait sa conférence.
Ce ne fut guère un supplice, mais rien de nouveau sous le soleil, me disais-je à la fin. Un récital de poème en arabe qu’on finit de traduire en wolof avec une bonne dose théâtrale que seuls les prêcheurs ont le talent. Mais Mamadu a une particularité dans son exercice. La surenchérie (pour ne pas dire mensonge). Il réserve à chacune de ses sorties une légende sans témoins sur la vie du Cheikh, et sa source reste toujours l’agencement de noms du style « Ousmane Malick ». Il faut aussi préciser qu’il n’ose prêcher qu’en présence d’un public d’ignorants où il a la liberté de débiter toutes sortes d’énormités sans se faire prendre.

Les âmes vierges, fanatiques de surcroît se laissent duper par Mamadu. Dans le marasme intellectuel qui prévaut dans ces cités, il est facilement devenu la rose qui, avec quelques formules bien senties, redonnait corps au rêve des jeunes de voir un jeune prêcheur s’élever au niveau des standards qu’ils admiraient.

Les autres prêcheurs de son âge (qui ont fait les bonnes écoles) plus aiguisés intellectuellement que lui se refusèrent de le critiquer publiquement, il est leur camarade de destin.  » C’est le faux-semblant qui est l’essence de ce temps : Faux-semblant notre politique, faux-semblant notre religion, faux semblant notre science » disait Débord, il parlait peut-être de notre temps.

Si les reproches qu’on pouvait faire à Mamadou se limitaient à l’imposture et le commerce de foi, sa dernière sortie semble rajouter à la liste de ses vices, le manteau de charlatan.

Notre ami compte bien se faire un nom dans la cité par tous les moyens, sa vie c’est vraiment la croix et la bannière.

Mamadu joue aussi les charlatans aujourd’hui. D’ailleurs dans ce milieu comme ses pairs, il a décidé de délaisser son nom d’origine pour emprunter à la nature un nom comique ou juste imbécile, mais flatteur « Borom Bah » qui veut dire littéralement détenteur du Bien.

Ce nom percutant lui présage déjà un succès, le charlatan est par essence synonyme d’imposteur, il est selon Larousse « celui qui exploite la crédulité publique ». Dans le champ religieux aussi, la mécanique est presque la même. « Borom Bah » est donc toujours dans son élément.

A la veille de la finale de la CAN 2022 (Sénégal vs Egypte), il décide de sortir pour faire sa prophétie, sa parole n’émane guère du royaume de Dieu. Certainement de son sommeil perturbé par les dettes qui l’accablent et autres promesses non tenues. Il est interrogé dans cet exercice par un animateur à qui le destin avait tout ôté sauf la honte. Il est connu pour être le pourvoyeur de la médiocrité et de la fourberie dans l’espace audiovisuel sénégalais. Pourtant, le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA, autorité publique) interdit les publicités mensongères (avis de janvier-mars 2012 « radio Saphir »).

Dans son propos divinatoire Borom Bah prédit que le Sénégal gagnera son match par un but à zéro.
Le match eut lieu, le Sénégal gagne, mais aux tirs au but. Il fit de ce succès le sien. Il a raison, il n’y a pas de petit succès (clin d’œil à Hampathé) et comme le ridicule ne tue pas non plus, il va couper la vidéo et n’y laissa apparaître que la partie où il parle de la victoire.
Ses amis intéressés qui n’attendent que sa chute l’aident à faire propager hypocritement la vidéo.

Comme toujours la stratégie marcha. L’enfant a une bonne étoile, pourrait-on dire, mais que nenni. Seulement, la superstition est devenue le business le plus rentable au Sénégal. Le fil de l’actualité est très révélateur, les affaires plus sodiques que d’autres. « Inventez une charlatanerie, n’importe laquelle, vous trouverez toujours des hommes qui diront que ça marche, tant notre besoin d’illusion est intense. » Boris Cyrulnik avait raison.
Le syndrome de Mamadu touche plusieurs jeunes, essentiellement issus de à degrés différent familles religieuses respectées.

Ils sont bien organisés, les sorties sont calculées, leurs habillements décidés (qui nous rappellent bien une communauté religieuse). Ils trottent aux pas de loups, étalent leurs tentacules, tressent une toile invisible qui ligote et tient en otage toutes les couches sociales. Ils dépouillent les riches, récupèrent les maigres sous des miséreux et vident les sébiles des mendiants.

Ces fourbes représentent un véritable fléau et constituent un danger pour la société. Au-delà de misère économique qu’ils installent dans les familles de leur proie, ils sont une menace pour la santé publique.

Mamadu ou Borom Bah est le portrait de ce dont meurt notre société ; un démon qui vit de l’obscurantisme des âmes perdues. Il incarne à la fois le vice et le crime.

Mr Ahmedū Thiam:Chercheur

Related Articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Stay Connected

0FansJ'aime
3,803SuiveursSuivre
0AbonnésS'abonner
- Advertisement -

Latest Articles